Sonorisations successives d’un même domicile à l’occasion de procédures distinctes : validation par la Cour de cassation

Publié le : 10/05/2023 10 mai mai 05 2023

Un même domicile peut-il faire l’objet de sonorisations successives à l’occasion de procédures distinctes ? « Sauf à que le recours à un stratagème soit établi, et à la condition que la durée totale des opérations ordonnées dans une même procédure n’excède pas deux ans », la Cour de cassation n’y voit pas d’objection selon un arrêt rendu le 29 novembre 2022 (n°22-81.393).

Dans le cadre d’une première information judiciaire, ouverte des chefs notamment d’infractions à la législation sur les armes, l’appartement occupé par M. X et Mme J (ci-après dénommé « appartement n° 1 »), faisait l’objet d’une sonorisation, autorisée par ordonnance du 3 juin 2016 et renouvelée jusqu’au 6 juin 2017, soit un peu plus d’un an.

Le 8 septembre 2017 et le 20 juin 2018, les enquêteurs indiquaient avoir tenté de pénétrer dans l’appartement afin de retirer le dispositif alors désactivé, sans y parvenir, et précisaient surseoir à ce retrait dans l’attente d’une opportunité d’accès à l’appartement.

Dans le cadre d’une seconde information judiciaire, portant sur des faits de tentative d’assassinat, le juge d’instruction ordonnait, le 16 novembre 2018, la sonorisation de l’appartement et prolongeait cette mesure à plusieurs reprises.

Pour mettre en œuvre cette sonorisation, le service technique « entrait en communication » avec le dispositif resté en place dans l’appartement, qu’il activait le 3 décembre 2018.

Cette mesure permettait de mettre au jour des manipulations d’importantes sommes d’argent, donnant lieu à l’ouverture d’une troisième information judiciaire le 12 avril 2019, des chefs de blanchiment de crime ou délit commis en bande organisée, non-justification de ressources et association de malfaiteurs.

Par ordonnance du même jour, le juge d’instruction ordonnait la sonorisation de l’appartement précité, qu’il renouvelait jusqu’au 28 septembre 2020, date à laquelle une perquisition était réalisée et permettait le retrait du dispositif.

Par ailleurs, le juge d’instruction autorisait, par ordonnance du 7 octobre 2019, la sonorisation de l’appartement personnel de Mme J (ci-après « appartement n° 2 »).

Cette mesure était prolongée jusqu’au 6 octobre 2020, date à laquelle le juge d’instruction dessaisissait les services de police.

Par ordonnance du 14 octobre 2020, il autorisait la poursuite de la sonorisation de cet appartement et confiait la mesure au directeur général de la gendarmerie nationale par commission rogatoire datée du même jour.

Dans le cadre de la troisième information judiciaire, Mme J était mise en examen le 16 janvier 2021 des chefs de blanchiment en bande organisée de crimes ou délits, d’extorsion en bande organisée, fraude fiscale, trafic de stupéfiants, ainsi que des chefs de non-justification de ressources et association de malfaiteurs.

Le 4 juin 2021, son avocat déposait une requête en annulation, notamment de la mesure de sonorisation de ces deux appartements.

À l’appui de celle-ci, il faisait valoir plusieurs moyens :

1°/ S’agissant de l’appartement n° 1, la requérante avançait qu’elle avait fait l’objet de mesures de sonorisation successives dont la durée globale avait dépassé le délai maximal de deux ans prévu par la loi. Au surplus, cette durée globale - devant être comprise, selon elle, comme la période pendant laquelle le dispositif est resté installé, indépendamment de son activation - contrevenait au principe du respect au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la CEDH.

2°/ S’agissant de l’appartement n° 2, elle indiquait que le renouvellement de l’autorisation de mise en place d’un dispositif de sonorisation n’était pas intervenu avant l’expiration de la mesure précédente, en sorte que l’ordonnance du juge d’instruction en date du 14 octobre 2020, permettant la prolongation de la sonorisation, devait être considérée comme nulle.

Le 7 février 2022, la chambre de l’instruction rejetait sa demande de nullité.

S’agissant du premier appartement, elle retenait qu’« il ne résultait d’aucun texte qu’un même logement ne puisse faire l’objet de plusieurs mesures de sonorisation à l’occasion de procédures distinctes, sauf à ce que le recours à un stratagème ne soit établi ».

En outre, s’agissant du second appartement, elle analysait l’ordonnance litigieuse non pas comme une prolongation de sonorisation, mais bien comme une nouvelle mesure de sonorisation.

Pour pleinement saisir la portée du présent arrêt, par lequel la Cour de cassation va entériner la position de la chambre de l’instruction et rejeter le pourvoi, il apparait nécessaire de rappeler, dans un premier temps, les garanties entourant les mesures de sonorisation (I), avant de s’attarder, dans un second temps, sur les précisions apportées par la chambre criminelle relativement à celles-ci (II).

Rappel des garanties entourant les mesures de sonorisation

La mesure de sonorisation est une technique d’enquête permettant d’écouter et d’enregistrer toutes les conversations se tenant dans un habitacle (domicile, véhicule), et ce à l’insu des individus (pour une définition légale, v. art. 706-96 du code de procédure pénale).

En ce sens, la sonorisation est un procédé d’investigation éminemment attentatoire aux libertés, et particulièrement au droit au respect de sa vie privée, puisqu’il implique de pénétrer dans des lieux privés (domiciles, véhicules) pour y apposer un dispositif d’enregistrement et par ce biais, de s’immiscer directement dans l’intimité des personnes visées.

Demeuré longtemps sans cadre juridique, la sonorisation est aujourd’hui subordonnée au respect de conditions strictes, que la Cour de cassation va s’attacher à rappeler, et qui sont autant de garanties substantielles (A) que temporelles (B) contre l’arbitraire.

Le rappel des garanties substantielles

Chaque fois qu’elle examine la régularité des mesures de sonorisation, la chambre de l’instruction doit s’assurer du respect d’un certain nombre de garanties, venant en encadrer le prononcé, que la Cour de cassation va s’attacher à rappeler :
 
  • Cette technique d’enquête ne peut être mise en œuvre que sur autorisation d’un juge, en sorte que la mesure est placée sous le contrôle effectif d’un magistrat du siège, présentant des garanties renforcées d’indépendance et d’impartialité. En ce sens, l’article 706-95-12 du code de procédure pénale dispose que : « Les techniques spéciales d'enquête sont autorisées :1°/ Au cours de l'enquête, par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République ; 2°/ Au cours de l'information, par le juge d'instruction, après avis du procureur de la République ».
  • Cette autorisation doit elle-même être entourée de garanties : elle doit être écrite et motivée. Ainsi, le magistrat doit être en mesure de justifier de la nécessité des opérations, par référence aux éléments de fait et de droit issus de la procédure dans le cadre de laquelle cette mesure est ordonnée (art. 706-95-13 du code de procédure pénale). De même, cette mesure doit être nécessaire à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales. En outre, selon l’article 706-97 du même code, « la décision autorisant le recours à la sonorisation comporte tous les éléments permettant d'identifier les véhicules ou les lieux privés ou publics visés, l'infraction qui motive le recours à ces mesures ainsi que la durée de celles-ci ».
  • Les données recueillies dans ce contexte ne sauraient être retranscrites dans leur intégralité : seules les données utiles à la manifestation de la vérité peuvent donner lieu à transcription.
  • En outre, cette technique spéciale d’enquête ne trouve sa place que dans certains contentieux particuliers. Ainsi, elle n’est ordonnée que pour les seules nécessités de l’enquête ou de l’information judiciaire relatives à une infraction d’une particulière gravité et complexité, uniquement en matière de délinquance et de criminalité organisées (art. 706-95-11 du code de procédure pénale).

Le rappel des garanties temporelles

À ces garanties substantielles, de fond, s’ajoutent des garanties tendant à maîtriser la durée de ces mesures de sonorisation, en les ancrant dans un temps bien défini :
  • Ainsi que le prévoient les articles 706-98 du code de procédure pénale, dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019, et 706-95-16 du même code, dans sa version issue de cette loi : « L'autorisation mentionnée au 1°/ de l'article 706-95-12 est délivrée pour une durée maximale d'un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée. L'autorisation mentionnée au 2°/ du même article 706-95-12 est délivrée pour une durée maximale de quatre mois, renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée, sans que la durée totale des opérations ne puisse excéder deux ans ».
  • Seules les données interceptées dans le temps de l’autorisation du juge peuvent être interceptées, conformément à l’article 706-95-16 du code de procédure pénale.
Après avoir rappelé le cadre légal dans lequel s’insère la mesure de sonorisation, il convient de s’attarder sur les précisions apportées par la Cour de cassation, relativement à certaines des garanties entourant son prononcé. 
 

Précisions sur les garanties entourant les mesures de sonorisation

La Cour de cassation va apporter un certain nombre de précisions utiles, concernant tant les garanties substantielles (A) que les garanties temporelles (B)

Les précisions sur les garanties substantielles

Deux précisions vont êtes apportées par la Cour de cassation : d’une part, sur la portée de l’ordonnance du juge d’instruction en date du 14 octobre 2020, et, d’autre part, sur la possibilité de procéder, en son principe, à plusieurs mesures de sonorisation successives d’un même domicile, à l’occasion de procédures distinctes.

A l’instar de la chambre de l’instruction, la Cour de cassation analyse l’ordonnance du juge d’instruction en date du 14 octobre 2020 non comme une simple prolongation, mais bien comme une nouvelle mesure de sonorisation, et ce au regard de deux éléments : 
  • Le dessaisissement, par le juge d’instruction, des services de police initialement chargés de l’exécution de la sonorisation, lesquels ont mis fin à l’écoute de la sonorisation à l’appartement n° 2 ;
  • La délivrance d’une commission rogatoire à une nouvelle autorité d’enquête, le directeur général de la gendarmerie nationale.
Dès lors, l’ordonnance pouvait tout à fait être prise postérieurement à l’expiration de la précédente ordonnance, ceci d’autant plus que rien ne s’oppose à ce qu’un même domicile puisse faire l’objet de plusieurs mesures de sonorisation à l’occasion d’une même procédure, dès lors que la durée totale des opérations n’excède pas deux ans.

En l’espèce, l’appartement n° 2 avait fait l’objet de plusieurs mesures de sonorisation, à l’occasion de la troisième ouverture d’information, donc dans le cadre d’une même procédure : une première sonorisation du 7 octobre 2019 au 6 octobre 2020 et une deuxième sonorisation du 14 octobre 2020 au 16 janvier 2021, soit pour une durée totale d’un an, trois mois et deux jours, autrement dit à une durée inférieure à deux ans.

Or, s’il est acquis qu’un même domicile peut faire l’objet de plusieurs mesures de sonorisation, à l’occasion d’une même procédure, et ce dans la limite de deux ans, qu’en est-il en présence de plusieurs mesures de sonorisation d’un même domicile, mais à l’occasion de procédures distinctes ?

Selon la Haute juridiction, rien ne s’oppose, en son principe, à ce qu’un même domicile puisse faire pareillement l’objet de plusieurs mesures de sonorisation à l’occasion de procédures distinctes : « il ne résulte d’aucun texte qu’un même domicile ne puisse faire l’objet de plusieurs mesures de sonorisations à l’occasion de procédures distinctes, sauf à ce que le recours à un stratagème soit établi (…) ».

Finalement, la Cour de cassation fait application d’un grand principe exégétique, propre à l’analyse de textes, à savoir « il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas ».

Pour autant, elle énonce une limite infranchissable : la durée totale des opérations, ordonnées dans le cadre d’une même procédure, à l’égard du même domicile, ne peut excéder deux ans.

Il s’agit là d’une nouvelle précision apportée par la Cour de cassation, et qui se rapporte aux garanties de temps entourant le prononcé d’une mesure de sonorisation.

B. Les précisions sur les garanties temporelles

En cas de sonorisations multiples d’un même domicile, à l’occasion de procédures distinctes, la durée totale des opérations, ordonnées dans le cadre d’une même procédure, ne peut excéder deux ans.

Par conséquent, et a contrario, il faut considérer que la durée totale des opérations, ordonnées dans le cadre de procédures distinctes, une fois ces dernières cumulées, s’agissant d’un même domicile, peut parfaitement excéder deux ans, mais uniquement dans la mesure où ce délai n’est pas dépassé s’agissant de chaque procédure prise isolément.

En l’espèce, s’agissant de l’appartement n° 1, ce dernier a fait l’objet de trois procédures distinctes :
  • Une première ouverture d’information ayant donné lieu à une sonorisation d’une durée d’un an et trois jours.
  • Une seconde ouverture d’information ayant donné lieu à une sonorisation d’une durée d’au moins douze mois (il est question de plusieurs renouvellements par le juge d’instruction, sachant qu’une autorisation délivrée par ce dernier peut aller jusqu’à quatre mois, v. art. 706-95-16 du code de procédure pénale).
  • Une troisième ouverture information ayant donné lieu à une sonorisation d’une durée d’un an, cinq mois et seize jours.
La durée totale des sonorisations, toutes procédures confondues, s’élevait donc à au moins trois ans.

Néanmoins, cette durée totale n’encourt pas la censure de la Cour de cassation, dans la mesure où la durée des sonorisations, pour chaque procédure prise isolément, n’excédait pas deux ans. 

Or, si la durée totale des opérations ordonnées dans une même procédure ne peut excéder deux ans, comment apprécier celle-ci ?

Faut-il tenir compte de la période pendant laquelle le dispositif est resté installé dans le domicile, quand bien même ce dernier ne serait pas exploité, ou ne faut-il s’attacher qu’au temps où le dispositif a été effectivement activé ?

L’auteur du pourvoi soutenait l’affirmative, soutenant que cette durée devait comprendre « le temps où le dispositif est activé comme celui où il est désactivé mais peut l’être à tout moment, sur décision de l’autorité judiciaire ».

Ainsi, il en déduisait que « le recours, pendant plus de quatre ans, à des mesures de sonorisation, dans le même appartement, à l’encontre des mêmes personnes, dans le cadre d’informations judiciaires ouvertes au cabinet du même juge d’instruction et dans lesquelles le même service de police était rogatoirement saisi, constituait une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée ».

La Cour de cassation ne va pas souscrire à cet argument, considérant que, « dans la procédure concernée, aucune captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles ou images ne saurait avoir lieu après expiration de ce délai et ce, indépendamment de la date de retrait du dispositif de sonorisation, qui n’en constitue qu’une modalité d’exécution ».

Dès lors, cela signifie que le temps pendant lequel le dispositif est installé, mais désactivé, ne doit pas être pris en compte pour calculer la durée totale des opérations et apprécier si cette dernière porte atteinte ou non à l’intimité de la vie privée du requérant.

Historique

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