Armes à feu : le vide juridique autour des P80 « à assembler »

Publié le : 03/03/2023 03 mars mars 03 2023

En raison de leur dangerosité particulière, les armes font l’objet de diverses règlementations ayant pour objectif d’en encadrer la fabrication, la détention, le commerce, le port et l’usage.

Un procédé venu des Etats-Unis, introduit récemment sur le marché des armes, semble échapper au législateur : les armes dites « P80 », des carcasses de Glock faites de matière polymère et que certains usagers parviennent à se procurer en pièces détachées puis en achèvent l’assemblage.

L’arme est ainsi nommée « P80 » en ce que la carcasse en polymère constitue 80 % de l’arme ; les 20 % restant dont la culasse sont ensuite assemblés pour en faire une arme à feu prête à l’emploi.

Le droit pénal règlemente l’utilisation des armes soit par l’incrimination de comportements à titre autonome en les érigeant en infractions principales comme la fabrication ou le commerce, l’acquisition ou la détention d’armes, soit en faisant de l’utilisation de l’arme dans la commission d’une infraction une circonstance aggravante.

Selon l’article 132-75 du Code pénal, constitue une arme :
- Tout objet conçu pour tuer ou blesser (arme par nature) : pistolet automatique, fusil de chasse à canon scié, couteau à cran d’arrêt, poignard…
- Tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes, dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer (arme par destination) : bâton, tronçonneuse, automobile…
- Tout objet qui, présentant avec l’arme une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisé pour menacer de tuer ou de blesser ou est destiné, par celui qui en est porteur, à menacer de tuer ou de blesser (arme factice) : pistolet factice...
- L’utilisation d’un animal pour tuer, blesser ou menacer.

Un tour d’horizon rapide des différentes catégories d’armes (A) permettra de mieux cerner l’enjeu que suscitent les « P80 » qui échappent à la règlementation actuelle (B).
 
  1. Réglementation en vigueur selon les catégories d’armes
Les armes font l’objet d’une classification précise et stricte en 4 catégories en fonction de leur dangerosité aux articles L311-2 et suivants du code de la sécurité intérieure.

Les armes de catégorie A, certaines armes à feu (arme à feu de poing, arme à feu d’épaule à répétition semi-automatique) et les matériels de guerre (canon, mortier, lance-roquettes, torpille, bombe, lance-grenades, engin incendiaire), font l’objet d’une interdiction d’acquisition ou de détention, sauf autorisation particulière.

Les armes de catégorie B, armes à feu de poing type revolver ou pistolet, armes d’épaule à répétition manuelle utilisées pour le tir sportif ou utilisées en cas de risques professionnels sous conditions sont soumises à autorisation de la préfecture.

Les armes de catégorie C sont soumises à une déclaration auprès d’un armurier qui se charge de transmettre le dossier à la préfecture.

Depuis un décret du 8 février 2022 relatif au compte individualisé des détenteurs d’armes dans le système d’information sur les armes (SIA) et aux procédures relatives aux armes, il est obligatoire de créer un compte SIA pour acheter et détenir une arme en tant que chasseur, mais également pour toute personne souhaitant conserver une arme de catégorie C trouvée ou héritée, qui n’aurait ni licence de tir sportif, ni de carte de collectionneur en cours de validité.

Les armes de catégorie D telles que le pistolet Taser ou encore la matraque télescopique peuvent être achetées ou détenues librement mais leur port ou leur transport est interdit sauf motif légitime.

Les armes à feu dites « P80 » constituent, une fois assemblées, des armes entrant dans la catégorie B ; leur détention n’est répréhensible que si elles sont assemblées, la carcasse « P80 » non assemblée ne pouvant constituer en elle-même une arme de catégorie B.
 
  1. Le silence du législateur autour des « P80 » non assemblés
Depuis quelques années, les carcasses de dites P80 ont été introduites sur le marché français.

Polymer 80 est une entreprise américaine de production de kits de pièces d’armes à feu utilisées pour une fabrication privée, achevées à 80%.

Rappelons qu’aux Etats-Unis, le droit de détenir et porter des armes est garanti par le deuxième amendement de la Constitution.

A la suite des récentes tueries de masse et notamment celle qui a eu lieu à l’école primaire d’Ulvade au Texas en mai 2022, le Sénat a voté une proposition de loi prévoyant un renforcement du contrôle et des antécédents judiciaires et psychologiques des acquéreurs d’armes de moins de 21 ans.

Cependant, ce qui est protégé par la loi aux Etats-Unis est heureusement encadré en France ; toutefois, les armes dites « P80 », légales aux Etats-Unis, se retrouvent en France sans être déclarées.

Les utilisateurs n’ont qu’à commander au préalable sur internet le kit à assembler puis à trouver les pièces manquantes auprès d’un armurier pour en achever la construction et en permettre son utilisation.

La fabrication artisanale de ces armes dans un cadre strictement privé rend impossible le traçage des ces dernières qui n’ont aucun numéro d’identification et leur absence de référencement en fait de véritables armes « fantômes », les faisant échapper aux radars des enquêteurs.

Pour autant, ces carcasses P80 ne sauraient constituer des armes stricto sensu, tout simplement en ce qu’elles ne sont pas mécaniquement terminées et ne sauraient trouver place au sein de la classification légale précédemment exposée, défiant, par ce simple fait, les prévisions du législateur.

Au surplus, le fait d’assembler les pièces d’armes à feu composant le kit Polymer 80, et de transformer une carcasse P80, aux fins de la terminer à 100%, peut-il constituer un « acte de fabrication », au sens où l’entend le code pénal ?

De manière générale, dans le silence des textes, et au regard des principes d’interprétation stricte de la loi pénale prévu à l’article 111-4 du code pénal, ne doit-on pas considérer que ces armes Polymer 80 échappent au domaine de la loi ?

Rappelons-le, le fait d’étendre le domaine d’application d’une loi - ici les textes relatifs à la fabrication, au commerce, à la détention, au port et à l’usage des armes - à une situation (bien que voisine) qu’il n’est pas amené à régir initialement - en l’occurrence les carcasses de Polymer 80 - et ce aux fins de combler un vide juridique, est formellement interdit dans une matière régie par le principe de légalité.

En effet, selon ce dernier, pour entrer en voie de condamnation, le comportement répréhensible doit être spécifiquement visé par un texte d’incrimination, lequel doit en définir tous les éléments constitutifs.

Or, s’agissant des Polymer 80, ce texte fait précisément défaut.

Ainsi que l’a déjà rappelé la Cour de cassation « il n’appartient pas au juge de suppléer au silence de la loi et de prononcer des peines en dehors des cas limitativement prévus par le législateur » (Crim., 28 nov. 1972, Bull. crim. N° 363).

S’il est une chose certaine, c’est que les Polymer 80 n’ont pas fini de faire parler d’eux puisque ces armes sont fréquemment utilisées dans les règlements de comptes liés aux guerres de territoires des trafiquants de produits stupéfiants.

Le législateur s’emparera-t-il de la question pour dissiper nos doutes ? Affaire à suivre…

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