Peine prononcée par la Cour d’assises : la nature de la peine prononcée résulte de son quantum

Publié le : 07/04/2023 07 avril avr. 04 2023

Le droit pénal est avant tout un droit de la peine, de par son origine et ses racines étymologiques. 

En effet, le droit pénal est dérivé du mot « poena », qui signifie peine. 

C’est à l’occasion d’un arrêt en date du 11 janvier 2023 que la chambre criminelle va procéder à un rappel solennel relativement à la nature de la peine prononcée. 

« Une peine privative de liberté d’une durée inférieure à dix ans, même prononcée en répression d’un crime, ne peut être qu’un emprisonnement correctionnel ». 

Par ces mots, la Cour de cassation vient apporter des indications sur le critère permettant de fixer la nature de la peine prononcée (contraventionnelle, délictuelle ou criminelle). 

À l’heure où le droit de la peine fait l’objet de nombreux développements au point d’être devenu une discipline à part entière, au centre de multiples réflexions, l’on pourrait croire cette précision superfétatoire et la portée de cet arrêt limitée, et pourtant… 

La Cour de cassation va se livrer à ces précisions à l’occasion d’un arrêt dont elle entend souligner la portée, puisqu’il s’agit d’un arrêt de cassation partielle sans renvoi - en sorte que la Haute juridiction de l’ordre judiciaire met elle-même fin au contentieux en clôturant définitivement le débat - et dont elle a souhaité favoriser largement la diffusion, celui-ci ayant fait l’objet d’une publication au bulletin (Crim. 11 janvier 2023, n° 22-81.816). 

La Cour d’assises d’appel de la Savoie, par un arrêt en date du 28 janvier 2022, M. G condamnait à la peine de « 7 ans d’emprisonnement criminel et à 15 ans de suivi socio-judiciaire » : on voit déjà poindre la contradiction, qui tient à elle seule dans l’oxymore « emprisonnement » et « criminel ». 

M. G formait alors un pourvoi en cassation au visa de l’article 111-3 du code pénal relatif à la légalité criminelle « pas de peine sans loi » et l’article 131-3 du code pénal dressant une liste des peines correctionnelles ; il soutenait que la cour d’assises ayant prononcé une peine qui relevait, de par sa durée, des peines d’emprisonnement, celle-ci avait méconnu le principe de légalité.

En réalité, bien que la durée de la réclusion criminelle (peines de droit commun) ou de la détention criminelle (peines politiques) soit de 10 ans minimum, conformément à ce qui est prévu à l’article 131-1 du code pénal, la cour d’assises peut tout à fait prononcer une peine privative de liberté d’un quantum inférieur à cette durée, mais à la condition toutefois de prononcer une peine d’emprisonnement, et donc une peine délictuelle/correctionnelle. 

Elle ne peut en modifier la nature, en la qualifiant d’« emprisonnement criminel ». 

Une peine privative de liberté inférieure à 10 ans sera automatiquement une peine d’emprisonnement, tandis qu’une peine supérieure à 10 ans sera qualifiée de réclusion ou de détention criminelle. 
L’emprisonnement est, forcément, de nature correctionnelle, de même que la réclusion ou la détention sont, forcément, de nature criminelle ; dès lors, parler d’« emprisonnement correctionnel » relèverait presque du pléonasme, tandis que parler d’ « emprisonnement criminel » n’aurait pas de sens et relèverait de la contradiction. 

En l’espèce, il faut souligner que la cassation est purement symbolique, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation règle la question et ne procède à aucun renvoi ; la précision est simplement d’ordre sémantique et n’entraîne aucune conséquence pratique. Le condamné devra toujours purger sa peine privative de liberté de 7 ans, peu important que celle-ci ait été faussement qualifiée d’emprisonnement criminel. 

Pour comprendre cette décision, il faut rappeler les grands principes irriguant les peines privatives de liberté (I) avant d’analyser l’application qu’en livre la Cour de cassation dans le présent arrêt (II).
 

I.    Rappel des principes fondamentaux irriguant les peines privatives de liberté

S’agissant des principes applicables aux peines, ces dernières doivent être prévues par la loi, donc légales (article 111-3 du code pénal : principe de légalité criminelle), personnelles aux coupables (article 121-1 du code pénal : exclusion de leur application aux tiers, et notamment à la famille), nécessaires et proportionnées (article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen) et enfin, motivées et individualisées, c’est-à-dire adaptées à la personne du coupable, en considération de paramètres tant objectifs (circonstances de l’infraction) que subjectifs (personnalité, situation matérielle, sociale, familiale, ressources et charges financières de son auteur etc.). 

Les peines privatives de liberté sont les suivantes : 
  • - En matière criminelle : il s’agit de la réclusion (pour les peines de droit commun) ou de la détention (pour les peines politiques), à perpétuité ou à temps (comprise entre 10 et 30 ans selon l’article 131-1 du code pénal). 

    En présence de certaines infractions, une période de sûreté peut également être décidée, ayant pour effet de priver le condamné de mesures de faveur telles que les permissions de sortir ou la libération conditionnelle. 

    Celle-ci peut aller jusqu’à 22 ans, voire être d’une durée illimitée (articles 720-2 à 720-5 du code de procédure pénale), sous réserve que la peine ne soit pas incompressible et que le condamné garde l’espoir d’un aménagement de sa peine, au risque de constituer un traitement inhumain et dégradant (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ; arrêts Léger c/ France, 11 avril 2006 et Kafkaris c/ Chypre, 12 février 2008).
 
  • - En matière correctionnelle : il s’agit de l’emprisonnement, qui ne peut aller au-delà de 10 ans. L’échelle légale comporte 8 degrés distincts : 10 ans, 7 ans, 5 ans, 3 ans, 2 ans, 1 an, 6 mois et 2 mois (artcile 131-4 du code pénal).
L’échelle des peines (articles 131-1 et 131-4 du code pénal), qui fixe la durée des peines privatives de liberté, ne fait obligation qu’au législateur, qui doit puiser dans cette dernière chaque fois qu’il créé un texte d’incrimination, pour assortir une sanction à un comportement interdit. 

La juridiction de jugement, lorsqu’elle prononce une peine privative de liberté, n’est pas tenue de respecter cette échelle ; elle peut s’en émanciper, dans la limite des maxima et des minima

En outre, si les minima ont disparu, la loi Taubira ayant abrogé les fameuses « peines-plancher », elles demeurent néanmoins dans deux cas, prévus à l’article 132-18 du code pénal : 

=> Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle à temps, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à deux ans.

=> Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à temps, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle pour une durée inférieure à celle qui est encourue, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à un an.

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation n’entend pas remettre en cause cette liberté du juge quant à la détermination de la sanction ; celui-ci est libre de choisir, parmi les peines applicables à l'infraction considérée, celles qui lui semblent les plus opportunes au regard de la nature des faits et de la personnalité du coupable. 

Cette liberté vaut quant à la nature de la peine, la juridiction étant libre de prononcer une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle (dans la limite des maxima et minima), et quant à son quantum, celle-ci pouvant faire varier la peine dans sa durée. 

Toutefois, la juridiction ne peut modifier la nature de la peine qu’elle prononce.
 

II.    Application de ces principes par la Cour de cassation

En l’espèce, le débat portait sur la nature de la peine prononcée. 

=> La nature de la peine dépend-elle de la nature de l’infraction commise, en sorte qu’à une contravention correspond une peine de police (amende), à une infraction délictuelle correspond une peine correctionnelle (amende et/ou emprisonnement, inférieur ou égal à dix ans) et à une infraction criminelle correspond une peine criminelle (réclusion/détention criminelle, à temps ou à perpétuité) ? 

Au cas d’espèce, l’infraction de viol reprochée à l’accusé aurait entraîné le prononcé d’une peine criminelle.

=> La nature de la peine dépend-elle de la nature de la juridiction de jugement qui prononce la peine (critère organique), en sorte qu’à une peine prononcée par un tribunal de police correspond une peine contraventionnelle, à une peine prononcée par un tribunal correctionnel une peine délictuelle et à une peine prononcée par une cour d’assises, une peine criminelle ? 

Au cas d’espèce, M. G étant jugé par la Cour d’assises, la peine serait nécessairement une peine criminelle.

La Cour de cassation va estimer que ces deux critères sont indifférents : seul compte le quantum de la peine prononcée. 

Toutefois, cette jurisprudence ne semble s’appliquer qu’à la Cour d’assises : si elle prononce une peine privative de liberté inférieure à 10 ans, il s’agit d’un emprisonnement qui est une peine correctionnelle.

En revanche, si le Tribunal correctionnel prononce une peine privative de liberté supérieure à 10 ans du fait de la récidive légale relevée à l’encontre du prévenu, la peine privative de liberté restera une peine correctionnelle.
 

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