Tribunal correctionnel et terrorisme : la requalification des faits à certaines conditions
Publié le :
21/04/2023
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« S’il appartient au juge répressif de restituer aux faits dont il est saisi leur véritable qualification, c’est à la condition de ne rien y ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d’être jugé sur des faits et circonstances non compris dans la poursuite ».
C’est au regard de ce principe, dégagé de longue date par la jurisprudence, que la chambre criminelle de la Cour de cassation va considérer, dans un arrêt récemment publié au bulletin (10 janv. 2023, n° 20-85.968), qu’ « encourt la cassation l’arrêt qui requalifie des menaces de mort en provocation directe à des actes de terrorisme, alors que les faits retenus pour affirmer le caractère terroriste des actes à la commission desquels il était provoqué n’étaient pas compris dans la citation, laquelle ne visait par ailleurs aucun propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
Dans la présente affaire, M. B était cité devant le tribunal correctionnel pour avoir, de manière réitérée, menacé de mort quatre personnes nommément désignées, en menaçant notamment de leur jeter de l’acide au visage, de les brûler dans un coffre, de leur envoyer une « équipe », ou de les viser avec une Kalashnikov.
Or, par un jugement en date du 24 juin 2020, le tribunal correctionnel requalifiait les faits en délit de provocation à des actes de terrorisme avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis avec l’utilisation d’un service de communication au public en ligne et condamnait l’intéressé à la peine de trois ans d’emprisonnement.
La Cour d’appel de Rouen confirmait le jugement dans un arrêt en date du 9 octobre 2020.
C’est au visa de l’article 388 du code de procédure pénale que la Cour de cassation va censurer le raisonnement de la cour d’appel en rappelant les conditions de la requalification des faits par le tribunal correctionnel (I) avant de juger la requalification des faits en provocation à des actes de terrorisme irrégulière (II).
- La requalification des faits par le tribunal correctionnel
L’article 388 du code de procédure pénale dispose que « le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence soit par la comparution volontaire des parties, soit par la citation, soit par la convocation par procès-verbal, soit par la comparution immédiate, soit enfin par le renvoi ordonné par la juridiction d'instruction ».
Le tribunal correctionnel sera alors saisi in personam, les magistrats ne pouvant juger que la personne citée, convoquée, déférée ou renvoyée devant eux, et in rem, la juridiction de jugement étant tenue par les seuls faits visés dans l’acte de poursuite.
Toutefois, comme le rappelle la Cour de cassation dans son attendu de principe, cette dernière n’est pas tenue par la qualification préalablement choisie.
Plus encore, il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification.
Néanmoins, si les juges répressifs doivent restituer aux faits leur véritable qualification (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 janvier 1931), c’est à la condition de ne rien y ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention (A)… sauf à ce que le prévenu ait donné son accord exprès (B).
- L’interdiction d’ajouter ou de substituer des faits distincts à la prévention…
Si « le droit de modifier la qualification légale du fait appartient aussi bien aux juges d'appel qu'au tribunal correctionnel » (Cour de cassation, chambre criminelle, 10 février 1888), c'est à la condition de ne rien changer au fait tel qu'il est dénoncé dans les actes de la procédure, et de ne pas statuer sur d'autres faits non compris dans la prévention (Cour de cassation, chambre criminelle 1er décembre 1949 et 11 mai 2006, n° 05-85.637).
Le principe a été maintes fois rappelé par la jurisprudence : la juridiction de jugement ne peut pas aller au-delà de l’acte de saisine du tribunal correctionnel.
Néanmoins, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que, si les juges répressifs ne peuvent ajouter des faits et des délits non visés à la prévention, cette impossibilité tombe toutes les fois où l’intéressé consent à être jugé de ces chefs complémentaires (Cour de cassation, chambre criminelle, 4 mai 1987, n° 86-93.269).
B. … sauf acceptation expresse de la personne jugée
Si l'intéressé a accepté expressément d'être jugé pour une infraction non comprise dans la poursuite, les juges répressifs ont toute latitude pour les apprécier.
L’acceptation expresse de la personne jugée est une condition indispensable, permettant de satisfaire au principe cardinal des droits de la défense.
En effet, recueillir le consentement du prévenu, c’est lui permettre de discuter la nouvelle qualification, conformément à ce qu’exige le respect des droits de la défense, lui-même issu du droit à un procès équitable tel qu’il découle de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme (Cour de cassation, chambre criminelle 17 octobre 2001, n° 01-81.988 ; 4 juin 2009, n° 08-87.943).
Ainsi que l’a déjà rappelé la Cour de cassation, « s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée. Encourt, dès lors, la censure l'arrêt qui requalifie d'office des faits poursuivis sous la qualification de banqueroute en abus de biens sociaux, sans que le prévenu ait été invité à s'expliquer sur cette modification » (Cour de cassation, chambre criminelle 16 mai 2001, n° 00-85.066 ; Cour de cassation, chambre criminelle 16 octobre 2013, n° 12-87.096).
Ce faisant, et cet arrêt en est la démonstration supplémentaire, la Cour de cassation exerce un contrôle sur la requalification des faits par le tribunal correctionnel.
- Le contrôle de la Cour de cassation sur la requalification des faits par le tribunal correctionnel
Dans le présent arrêt, la Cour de cassation entend rappeler à la juridiction de jugement l’étendue de son office, et plus particulièrement la marge de manœuvre dont elle dispose en matière de requalification.
Ainsi, si les juges répressifs sont tenus de restituer aux faits leur exacte qualification, cela ne doit pas les porter à s’émanciper de la poursuite et à occulter les conditions d’une possible raqualification.
En cela, la Cour de cassation sanctionne la requalification au regard de deux motifs (A).
Son contrôle semble d’autant plus rigoureux en présence d’une requalification en infraction terroriste qui aurait pour effet d’aggraver la répression, comme c’est le cas en l’espèce (B).
- Un contrôle renforcé au regard du contenu de la citation et de l’objet de l’acceptation expresse du prévenu
Selon la Cour de cassation, non seulement « les faits retenus par la cour d'appel pour affirmer le caractère terroriste des actes à la commission desquels il était provoqué n'étaient pas compris dans la citation » mais de surcroît la citation « ne visait (…) aucun propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».
Or, pour condamner une personne, encore faut-il que l’infraction soit constituée.
L’article 421-2-5 du Code pénal réprime la provocation à des actes de terrorisme ; la Cour de cassation vient rappeler que les infractions deviennent des actes terroristes « lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur », définition prévue par l’article 421-1 du Code pénal.
La Cour de cassation sanctionne la Cour d’appel qui requalifie des faits en actes de terrorisme alors que cela n’est pas compris dans la citation et que cette dernière ne vise aucun propos portant sur des actes terroristes.
De surcroît, si le prévenu avait bien accepté « la requalification de l'infraction de menace en délit de provocation à commettre un crime ou un délit, tel n'était pas le cas s'agissant de la provocation directe à commettre un acte de terrorisme ».
Pour que l’acceptation expresse à la requalification soit valable, encore faut-il qu’elle porte précisément sur la qualification exacte envisagée.
Le seul accord pour une requalification est insuffisant ; il doit être précis.
Si la Cour de cassation est particulièrement rigoureuse dans son contrôle, c’est peut-être parce qu’il s’agit d’une requalification en infraction terroriste qui aggrave le sort du prévenu de manière non négligeable.
- Un contrôle renforcé au regard de la nature de l’infraction ?
Certes, M. B aurait pu être condamné à la peine de trois ans d’emprisonnement s’il avait été retenu la qualification initiale contenue dans la poursuite, c’est-à-dire l’infraction de menaces de mort réitérées punie d’une peine de trois d’emprisonnement (article 222-17 du Code pénal).
Il était de plus en récidive, ce qui double le quantum de la peine encourue.
Il n’y a donc pas eu d’aggravation en termes de peine prononcée, bien qu’une condamnation pour une infraction terroriste ne soit pas appréciée de la même façon qu’une infraction de droit commun sur le casier judiciaire.
En revanche en termes de peine encourue, M. B passait de trois ans d’emprisonnement encourus à sept d’emprisonnement, l’infraction de provocation directe à une acte de terrorisme ayant été commise avec la circonstance aggravante de l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Mais au-delà du quantum de la peine encourue, la Cour de cassation a peut-être voulu rappeler la gravité particulière de l’infraction terroriste qui doit troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
Toutes les infractions n’empruntent pas une coloration terroriste, quand bien même le prévenu menaçait les victimes de les « viser à la Kalashnikov » ; en tout état de cause, pour envisager la requalification, encore aurait-il fallu que la citation contienne des propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
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