De la garde à vue à l’instruction : le délai de défèrement à géométrie variable?
Publié le :
20/03/2023
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L’article 803-3 du code de procédure pénale prévoit que la personne déférée au terme d’une garde à vue d’un maximum de 72 heures, peut en cas de nécessité comparaître le jour suivant, dans un délai de 20 heures à compter de la levée de la garde à vue.
Or, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 21 février 2023, vient apporter quelques précisions quant à l’écoulement de ce délai, lesquelles vont de facto avoir pour effet d’allonger ce dernier.
Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, M. C était placé en garde à vue le 4 octobre 2021 à 19 heures 40 pour une durée de 71 heures et 20 minutes, mesure levée le 7 octobre à 19 heures, en sorte que celui-ci devait être présenté au juge d’instruction dans le délai de 20 heures, soit au plus tard le 8 octobre 2021 à 15 heures.
L’interrogatoire de première comparution débutait le 8 octobre à 13 heures 55, le temps de constater l’identité du mis en cause, pour être finalement suspendu à 13 heures 57 par le juge d’instruction avant que l’interrogatoire commence à 15 heures 15.
Le 3 février 2022, M. C déposait une requête en nullité soulevant l’irrégularité de sa comparution devant le juge d’instruction sur le fondement de l’article 803-3 du code de procédure pénale.
Dans un arrêt du 1er juin 2022, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris considérait que le magistrat instructeur avait pu valablement interrompre le délai en se présentant à la personne déférée, laquelle n’était pas assistée d’un avocat, et en lui indiquant simplement que l’interrogatoire reprendrait plus tard.
Monsieur C. formait alors un pourvoi en cassation, considérant qu’en se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction avait méconnu les articles 803-2 et 803-3 du code de procédure pénale, mais également les articles 116 du code de procédure pénale, les droits de la défense, les règles du procès équitable et l’article 5 §1er de la Convention européenne des droits de l’homme (détention arbitraire).
La question posée à la Cour de cassation était donc celle de savoir si le simple constat de son identité par le juge d’instruction interrompait régulièrement le délai de présentation d’un maximum de 20 heures et si ce simple constat d’identité, commencé avant l’expiration du délai de 20 heures, permettrait de commencer postérieurement l’interrogatoire de première comparution au terme dudit délai, le temps de permettre la présence de l’avocat de l’intéressé.
La Cour de cassation va souscrire aux arguments de la chambre de l’instruction et rejeter le pourvoi qui lui est soumis en considèrant que « la comparution de la personne déférée devant le juge d’instruction met fin à la période de rétention » et ce, « peu important que l’avocat de l’intéressé n’ait pas été présent lors de la constatation de l’identité de ce dernier, l’article 116 du code de procédure pénale ne prévoyant la désignation d’un avocat par la personne déférée que lors de la phase ultérieure de l’interrogatoire de première comparution ».
Dès lors, le délai de défèrement, prévu en cas de nécessité, est de 20 heures maximum, ainsi que le prévoit l’article 803-3 du code de procédure pénale… (A) sauf en cas de suspension de l’interrogatoire de première comparution par le juge d’instruction (B)
- Le délai de 20 heures prévu par l’article 803-3 du code de procédure pénale
A. Le principe du défèrement immédiat
A l’issue de sa garde à vue, tout individu doit être soit remis en liberté, soit déféré devant un magistrat, procureur de la République - qui décide de l’opportunité des poursuites et de l’orientation donnée à l’affaire - ou juge de l’instruction - qui se prononcera sur son éventuelle mise en examen.
Le principe est donc le défèrement immédiat qui doit intervenir dans les plus brefs délais, le jour même.
Ainsi, aux termes de l’article 803-2 du code de procédure pénale : « toute personne ayant fait l'objet d'un défèrement à l'issue de sa garde à vue « ou de sa retenue » à la demande du procureur de la République « ou du juge de l'application des peines » comparaît le jour même devant ce magistrat ou, en cas d'ouverture d'une information, devant le juge d'instruction saisi de la procédure. Il en est de même si la personne est déférée devant le juge d'instruction à l'issue d'une garde à vue au cours d'une commission rogatoire, ou si la personne est conduite devant un magistrat en exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt ».
Par dérogation, le législateur prévoit que le suspect peut n’être présenté que le lendemain.
Dans pareille hypothèse, et uniquement en cas de nécessité (qui tend pourtant à devenir le principe en raison de l’engorgement des tribunaux et d’une surcharge d’activité des magistrats), l’individu est retenu dans des locaux spécialement aménagés de la juridiction, également appelés « dépôts», pour une durée ne pouvant excéder 20 heures.
B. L’exception du défèrement dans un délai de 20 heures en cas de nécessité
Aux termes de l’article 803-3 du code de procédure pénale : « en cas de nécessité et par dérogation aux dispositions de l’article 803-2 du code de procédure pénale la personne peut comparaître le jour suivant et peut être retenue à cette fin dans des locaux de la juridiction spécialement aménagés, à la condition que cette comparution intervienne au plus tard dans un délai de vingt heures à compter de l'heure à laquelle la garde à vue ou la retenue a été levée, à défaut de quoi l'intéressé est immédiatement remis en liberté ».
En outre, le magistrat devant lequel l'intéressé est appelé à comparaître est informé sans délai de l'arrivée de la personne déférée dans les locaux de la juridiction.
Il est à préciser que, lorsque la garde à vue a été prolongée mais que cette prolongation n'a pas été ordonnée par le juge des libertés et de la détention ou par un juge d'instruction, la personne retenue doit être effectivement présentée à la juridiction saisie ou, à défaut, au juge des libertés et de la détention avant l'expiration du délai de vingt heures.
Pendant cette durée, les droits du gardé à vue sont à nouveau reconnus à la personne retenue : droit de s'alimenter, de faire prévenir par téléphone une des personnes visées à l’article 63-2 du code de procédure pénale, d'être examinée par un médecin, de s'entretenir, à tout moment, avec un avocat désigné par elle ou commis d'office à sa demande.
Cependant, cette rétention, pouvant aller jusqu’à 20 heures, est impossible lorsque la garde à vue a déjà atteint 72 heures, en application des dispositions de l’article 706-88 du code de procédure pénale relatif à la criminalité et à la délinquance organisées.
Enfin, un dépassement du délai de rétention, ou une impossibilité de vérification de la durée de rétention, entraîne la nullité de cette mesure et ce faisant, empêche le tribunal d’être saisi régulièrement.
Dès lors, la sanction est sans appel : l’individu doit être immédiatement remis en liberté (Cour de cassation, chambre criminelle, 6 déc. 2005, n° 05-82450).
Pour autant, en l’espèce, bien que l’interrogatoire de première comparution n’ait pas à proprement parler débuté dans le délai de 20 heures puisque seule l’identité de la personne a été constatée, la Cour de cassation va considérer le délai interrompu, l’intéressé demeurant sous le contrôle du juge d’instruction qui suspendu l’interrogatoire de première comparution.
- Allongement du délai en cas de suspension de l’interrogatoire de première comparution
En l’espèce, il faut considérer que la constatation de l’identité du mis en cause constitue le point de départ de l’interrogatoire de première comparution, autrement dit que la déclinaison de son identité marque le début de l’interrogatoire de première comparution.
Il est à noter que ce point de départ relève d’une considération de pure forme, l’interrogatoire n’ayant, sur le fond, nullement commencé, et pour cause : la personne mise en cause n’était pas assistée d’un avocat.
Il est à rappeler que la présence de ce dernier est obligatoire à ce stade toutes les fois où l’individu n’a pas été convoqué selon les modalités de l’article 80-2 du code de procédure pénale, c’est-à-dire par lettre recommandée ou par remise de l’officier de police judiciaire.
Dans ce cas, conformément à l’article 116 du code de procédure pénale, l’individu ne peut être interrogé sur le fond lors de l’interrogatoire de première comparution s’il n’est pas accompagné de son avocat.
La personne déférée doit donner son accord pour être interrogée ; en cas de refus, le juge d’instruction pourra toujours recevoir ses déclarations spontanées, sans toutefois être en mesure de lui poser de questions.
Dans la présente affaire, cet allongement du délai de défèrement avait donc pour objectif de se conformer aux droits de la défense, en permettant à l’avocat d’assister à l’interrogatoire de première comparution, au moins pendant la phase d’interrogatoire, la Cour de cassation précisant que celui-ci n’a pas nécessairement à être présent lors de la constatation de l’identité du mis en cause, ses droits n’étant pas menacés.
Effectivement, c’est lors de la phase postérieure au constat d’identité, celle de l’interrogatoire qui est décisive en ce qu’elle peut conduire à une mise en examen du suspect, que la présence de l’avocat aux côtés du suspect se révèle fondamentale.
Néanmoins, n’est-il pas à craindre que ce point de départ constitue une porte ouverte vers des allongements de délai de plus en plus importants, vidant de leurs substances les dispositions des articles 803-2 et 803-3 du Code de procédure pénale ?
En effet, si l’on suit le raisonnement de la chambre criminelle, il suffirait au juge d’instruction de demander au mis en cause de décliner son identité pour que cela l’autorise à suspendre l’interrogatoire de première comparution et à ne le reprendre que quelques heures plus tard.
Et dans la période intermédiaire, qu’advient-il du mis en cause ?
Celui-ci est contraint de demeurer à la disposition du juge d’instruction, comme le formule elle-même la chambre criminelle de la Cour de cassation « la personne déférée reste sous le contrôle effectif du juge d’instruction », prolongeant de facto sa privation de liberté.
Dès lors, il n’apparaît pas inutile de rappeler que ce délai de 20 heures, en tant qu’il constitue une exception au principe du défèrement dans immédiat, et qui a pour effet de prolonger une limitation à la liberté individuelle, devrait faire l’objet d’une interprétation stricte.
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